La patente à…!

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Ce que nous aimons du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, c’est qu’il a un filtre politique très mince. Il parle souvent avec une candeur rafraîchissante. Son opinion concernant le montage financier de Nemaska Lithium dans lequel Investissement Québec a englouti – et perdu! – 130 millions de dollars1 était d’une clarté limpide : « une patente à gosse! »2  Six fois plutôt qu’une l’a-t-il répété en commission parlementaire.

On change de nom et on repart à neuf

Rappelons que Nemaska Lithium s’est placée à l’abri de ses créanciers le 23 décembre 2019. En matière de timing, difficile de faire pire. Joyeux Noël aux petits investisseurs qui s’étaient laissé séduire par l’aventure. On ne versera pas trop de larmes ici, c’est le propre de la spéculation boursière. On se pète les bretelles et on pavane devant son beau-frère si on multiplie son investissement par 10 ou par 20, mais si on perd tout, c’est forcément la faute de quelqu’un. Si on n’est pas capable d’accuser le coup, on ne joue pas à la bourse, point.

Il en va autrement du gouvernement et de ses institutions. Je veux bien qu’Investissement Québec prenne des risques, c’est dans son mandat. Mais il y a des risques qui, parfois, me semblent plus risqués que d’autres. Bien sûr, investir dans Nemaska Lithium I, c’était une décision du gouvernement Couillard. Forcément, aux yeux du ministre Fitzgibbon, c’était tout croche. C’est ce que le ministre a déclaré en commission parlementaire le 20 août 2020.

Mais à peine le ministre avait-il eu l’occasion de dormir trois nuits sur son témoignage en commission parlementaire qu’il annonçait son intention d’engloutir un autre 300 millions de $ dans Nemaska Lithium II.3 Qui nous dit, cette fois, que la patente n’a pas de gosses?

Même si la structure financière de Nemaska Lithium I était une patente à gosse, le ministre devrait savoir que ce n’est pas cette structure qui a conduit l’entreprise à la protection des tribunaux. On aura beau triturer l’actionnariat et l’étirer dans tous les sens, au final, la réussite de l’entreprise dépendra davantage de la matière première, des technologies utilisées pour son traitement, et des importants coûts de transport en amont et en aval. Bref, il faut que l’entreprise soit capable de produire du lithium et autres dérivés de manière compétitive. Ça, c’est loin, très loin d’être clair.

La course mondiale vers le lithium

L’intérêt mondial pour le lithium n’est pas nouveau. Nos téléphones cellulaires, nos tablettes et autres appareils de communication carburent aux piles lithium-ion. Mais ce sont les avancées en matière de voitures électriques qui alimentent de plus en plus la demande pour cette ressource.

Le Québec peut se targuer d’avoir l’une des dix plus grosses mines de lithium au monde. Voici d’ailleurs le classement.

Par contre, à trop regarder ces arbres, on cache la forêt. En contraste, voici le classement mondial des réserves de lithium, par pays.

Comme on peut le constater, nous sommes loin d’être les seuls dans la course. Whabouchi, c’est le projet Nemaska. C’est bien sur papier ou dans une liste de projets, mais ça coûte cher comme le rappelait le ministre Fitzgibbon le 20 août dernier. « Il y a 1,1 milliard qu’il manque dans la patente, là, pour la finir. (…) Est-ce que le gouvernement du Québec va mettre un milliard dans la patente parce qu’on va être les seuls qui vont le faire? La réponse, c’est non. » Et le ministre de préciser : « Si, seuls, on aurait mis un milliard dans la patente, on aurait pu la conserver. Est-ce que c’est rigoureux pour le Québec, pour nos 8 millions de personnes? Non. Alors, on ne le fait pas. »

Le coût de l’espérance

L’intérêt pour la filière du lithium au Québec ne relève pas de la psychiatrie. Il s’agit plutôt d’un vague espoir de faire du Québec un des épicentres du développement mondial des batteries pour propulser les voitures électriques. Pour le développement de cette filière, le ministre anticipe des investissements de l’ordre de 7 à 8 milliards. Si c’est l’ordre de grandeur avancé au pifomètre par le ministre, je dirais plutôt que la réalité risque d’être le double, comme c’est souvent le cas. Pour reprendre les propos du ministre, « est-ce rigoureux pour nos 8 millions de personnes? » On jase.

Le gouvernement Legault cache mal son enthousiasme pour les voitures électriques et entretient des fantasmes économiques pour les batteries lithium-ion. Le raisonnement logique qui mène à ce rêve s’articule probablement comme suit : « nous l’électricité, on connaît ça! » Comme une batterie, ça sert à emmagasiner de l’électricité, par extension, on doit connaître ça aussi. Sans enlever quoi que ce soit à l’expertise de nos chercheurs, c’est un peu comme le parent qui affirme qu’il peut diriger le ministère de l’éducation parce qu’il a un enfant à la maternelle. C’est un peu court.

De l’enthousiasme à revendre

C’est beau l’enthousiasme, mais parfois, il est préférable de tempérer. Quand un ministre se mouille à ce point pour un projet, ça attire l’attention. L’industrie de l’automobile est une affaire mondiale. En Amérique du Nord, c’est principalement une affaire mexicaine, américaine et ontarienne.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, salive déjà lui aussi à l’idée de fabriquer des batteries sur son territoire. Des gouverneurs de plusieurs états américains pensent sans aucun doute la même chose. C’est notamment le cas du Nevada. Pour les promoteurs, c’est le Klondike. La chasse aux subventions et aux aides gouvernementales est maintenant ouverte.

Comme toujours, les politiciens vont engager les deniers publics dans des surenchères. En bout de ligne, les usines de batteries s’installeront là où les entreprises recevront les meilleures subventions, les meilleurs congés de taxes et les meilleures dispositions législatives et réglementaires concernant les impacts environnementaux. Ça peut marcher pendant un certain temps. Mais quand la source de deniers publics se tari, on déménage les usines vers d’autres cieux. Un exemple récent : Electrolux.

Hors du lithium, point de salut?

On se rappellera avec un petit sourire en coin les magnétoscopes Betamax, à la fine pointe de la technologie, mais qui seront vite déclassées par les magnétoscopes VHS qui offraient une plus grande durée d’enregistrement. On connaît la suite. Aujourd’hui, ni l’un ni l’autre n’a survécu à l’évolution technologique.

Des milliards de dollars seront investis dans des technologies de stockage d’énergie dans les années à venir. Mais attention, s’il est vrai que les batteries lithium-ion partent favorites, il y a une effervescence dans le domaine.

En bout de ligne, la technologie qui risque d’émerger sera celle dont les fondations reposeront sur une disponibilité de matière première à coûts raisonnables et dont les approvisionnements ne seront pas soumis aux aléas de la géopolitique.

Dans ce domaine, miser exclusivement sur le lithium, c’est un « all in » risqué.

Notes

  1. https://www.investquebec.com/quebec/fr/salle-de-presse/communiques/Quebec-investit-130-millions-de-dollars-dans-le-projet-Whabouchi-de-Nemaska-Lithium.html
  2. http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cet-42-1/journal-debats/CET-200820.html
  3. https://www.journaldemontreal.com/2020/08/24/le-gouvernement-du-quebec-reinvestit-dans-nemaska-lithium

Un commentaire

  1. Le problème n’est pas le lithium qui est une technologie de long terme, ni de vouloir exploiter les gisements de spoduméne. L’exploitation des mines n’a d’intérêt que si le spoduméne est converti sur place pour vendre un produit à forte marge (LiOH, Li2CO3).

    Mais pour ce qui concerne la batterie avec des côuts actuels de $100/kWh et un objectif de $80 (Tesla vise $50/kWh), la rentabilité sur les fonds publics sera faible et même très probablement inexistante mais cela plait au politique. Que le privé le fasse très bien, que les québecois mettent des milliards dans la bibite c’est énorme … il y a presque 150 méga-usines de batteries dans le pipeline, le québec ne pésera pas lourd.

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