Robin des bois est tombé sur la tête

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Sans tambour ni trompette, le gouvernement du Québec vient d’annoncer la bonification des aides financières de plusieurs de ses programmes d’efficacité énergétique pour les habitations. On souhaite ainsi soutenir et stimuler le domaine de la construction et de la rénovation écoénergétiques du Québec. Pourtant, la pandémie n’a pas réglé la pénurie de main d’oeuvre dans ce secteur, et les spécialistes du chauffage et de la climatisation sont tellement occupés qu’ils ne retournent pas les appels. La seule chose que cette stratégie risque de soutenir et de stimuler c’est une hausse des prix.

Vite, il faut agir. Ça presse!

Les gouvernements ont un pouvoir réglementaire puissant pour rehausser la performance énergétique des bâtiments. Au Québec, il devient de plus en plus clair que le gouvernement a renoncé à exercer ce pouvoir. À choisir entre une réglementation efficace qui améliore la performance énergétique de l’ensemble du parc de bâtiments, le gouvernement cimente les programmes d’aide financière à la rénovation. Or, la littérature abonde d’études qui démontrent clairement que de telles aides financières ne sont pas un moyen optimal d’améliorer l’efficacité énergétique résidentielle. Qui plus est, il est aussi clairement démontré depuis des dizaines d’années que ces subventions ont un effet régressif sur la répartition des revenus.

Au Québec, il est plus que temps de mettre en place un système de cotation énergétique des bâtiments résidentiels lors des transactions immobilières. Au fil du temps, un tel système permet d’augmenter la performance énergétique des bâtiments existants. Il a aussi l’avantage de contenir la spéculation immobilière. Si vous voulez acheter et vendre frénétiquement, vous devrez faire des améliorations énergétiques à chaque transaction. Facile et efficace. Alors pourquoi on ne le fait pas au Québec? Mystère.

Plutôt que d’agir et de faire ce qu’il est le seul à pourvoir accomplir, le gouvernement attend. Quoi exactement? On ne le sait plus trop. Aussi, quand il arrive une catastrophe, le gouvernement réagit en urgence avec des solutions inefficaces qui n’auront pas ou peu d’impact mesurable et significatif en matière d’efficacité énergétique.1

Des programmes bonifiés, mais pour qui?

Le taux de propriété est plus faible au Québec que dans le reste du Canada. Selon Statistiques Canada, ce taux serait d’environ 61 % au Québec et de 68 % ailleurs au Canada.2 La bonne nouvelle, c’est que ce taux s’améliore au fil du temps et reflète le rattrapage économique du Québec au cours des dernières décennies. Ce n’est pas tant la comparaison avec le reste du Canada qui nous intéresse ici, mais plutôt de constater que 39 % des québécois ne sont pas propriétaires.

Les statistiques nous montrent également que le taux de propriété chez les plus jeunes a régressé. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle. Entre 2011 et 2016, le taux de propriété chez les moins de 25 ans est passé de 19,0 % à 16,5 %. Chez les 25 à 34 ans, ce taux est passé de 47,0 % à 44,2 %. Enfin, chez les 35 à 44 ans, il est passé de 63,6 % à 61,6 %.

Le 27 mars 2020, le journal La Presse nous informait que plus de 213 000 demandes de report de versement d’hypothèque étaient en traitement par les six grandes banques du pays. 3 Sept jours plus tard, Le Soleil indiquait que ce nombre dépassait 500 000 à l’échelle du Canada. 4

Selon l’Institut de la statistique du Québec, le taux de chômage est passé de 4,9 % en février à 9,7 % en avril.5 Voyons voir ce que les chiffres de mai diront, mais il est probable que la situation ne se soit pas améliorée. Le 9 mai 2020, le chroniqueur Michel Girard estimait plutôt que le réel taux de chômage au Québec gravitait à au moins 23,3 %.6 Intéressante marge. Je vous laisse lire les deux références pour vous faire votre propre idée. Certains diront que ce ne sont que des chiffres et que, de toute manière, ça va bien aller. Je rappellerai toutefois que le taux de chômage au Québec était sous la barre des 5 % lors du dépôt du budget en mars dernier.

Quand on regarde toutes ces statistiques, on se demande bien qui va bien pouvoir profiter des aides financières bonifiées des programmes d’efficacité énergétique. À défaut de réponse claire, on commence toutefois à en avoir une petite idée.

La banque alimentaire

Depuis le début de la pandémie, je vais à la SAQ une fois semaine. Depuis un certain temps, les préposés m’offrent de faire un don pour les banques alimentaires du Québec. C’est une excellente initiative et une noble cause. J’invite d’ailleurs nos lecteurs à contribuer. Je souhaite simplement qu’une fois la pandémie terminée, les dirigeants de la SAQ n’iront pas se féliciter d’avoir fait la charité alors que l’argent vient de ses clients.

Quand la préposée de la SAQ me demande si je veux faire un don, je lui réponds que je préfère faire un don à la banque alimentaire de France; pas le pays, mais France, ma camelot du journal l’Itinéraire. France travaille devant la même succursale de la SAQ depuis aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Ces jours-ci, à chacune de mes visites, à défaut de pouvoir lui acheter une copie de l’Itinéraire qu’elle ne peut plus offrir à ses clients, je lui donne un billet de banque.

Cette semaine, je lui ai demandé si elle recevait une aide financière quelconque. Deux fois elle a reçu un coupon pour acheter 50 $ de nourriture chez Métro. Pour 10 semaines de confinement, ce n’est pas beaucoup. Malgré le fait que France a un emploi de camelot, elle ne reçoit pas de prestation canadienne d’urgence, la PCU. Ses revenus de 2019 n’étaient probablement pas assez élevés, elle ne mérite donc pas d’être aidée. Parce que pour recevoir la PCU, il faut avoir déclaré des revenus d’au moins 5000 $ en 2019 et avoir perdu son emploi. C’est bizarre, mais c’est comme ça.

Pauvres riches

Comme nous l’avons vu plus haut, un large pan de la population – notamment chez les moins de 45 ans – n’est pas propriétaire de son logement et ne peut profiter des programmes d’efficacité énergétique. Pour les centaines de milliers de propriétaires qui font appel à leur banque pour reporter des paiements d’hypothèque, la bonification des programmes de Transition énergétique Québec ne sera d’aucune espèce d’utilité. Il en va de même pour les centaines d’autres milliers qui ont perdu leur emploi. Enfin, les personnes qui étaient démunies avant la pandémie le sont encore plus aujourd’hui. Ça en fait du monde qui peine à joindre les deux bouts.

Je ne suis ni de droite ni de gauche. J’espère juste être un peu humaniste. En ces moments de grande tristesse économique, j’ai énormément de difficulté à concevoir que le gouvernement bonifie les aides financières des programmes d’efficacité énergétique pour le secteur résidentiel.

La question n’est pas de savoir si la bonification des aides financières des programmes est pertinente. L’histoire des programmes d’efficacité énergétique partout dans le monde nous enseigne que l’aide financière ne l’est généralement pas. Par ricochet, la bonification de tels programmes l’est encore moins. Un autre coup d’épée dans l’eau.

La vraie question est plutôt de savoir qui va être admissible à cette aide gouvernementale bonifiée? M’est d’avis que ce ne sont pas les pensionnaires des CHSLD, les locataires, les jeunes, les chômeurs ou mon amie France.

Dans le fond, la bonification des programmes actuels signifie que des dizaines de millions de dollars seront remis à ceux et celles qui ont les moyens de les recevoir.

En français, le mot « aide » sous-entend que l’on apporte son soutien à une personne qui en a besoin. Il est rassurant de savoir que le gouvernement aide les gens dans le besoin.

Notes

  1. https://www.macleans.ca/economy/business/when-the-federal-ecoenergy-retrofit-initiative-was-cancelled-on-march-31-of-last-year-the-toronto-environment-office-had-already-been-working-for-several-months-on-designing-a-home-energy-retrofit-pr/
  2. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/prof/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=PR&Code1=24&Geo2=PR&Code2=01&Data=Count&SearchText=24&-SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=Housing&TABID=3
  3. https://www.lapresse.ca/affaires/economie/202003/27/01-5266745-les-demandes-de-report-de-paiements-hypothecaires-sadditionnent.php
  4. https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/pres-de-500-000-reports-de-paiements-hypothecaires-demandes-au-canada-d6d11874ca0936cabdf1f0fae67a26de
  5. https://stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/profil03/societe/marche_trav/indicat/tra_mens03.htm
  6. https://www.journaldemontreal.com/2020/05/09/lemploi-au-quebec-completement-massacre

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