Le Québec est-il un gruyère?

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Depuis plusieurs semaines, je regarde la carte géographique du Québec d’un air dubitatif. On entend beaucoup parler d’un corridor énergétique qui traverserait le Canada A Mari usque ad Mare. C’est sympathique comme idée, mais je n’arrive pas à visualiser ce corridor.

Le corridor énergétique doit, selon ses promoteurs, accomplir trois choses : transporter de l’électricité, transporter du gaz naturel et transporter du pétrole. Tout ça, bien sûr, d’une province à l’autre, ou à travers certaines provinces pour en atteindre d’autres.

Un corridor électrique

Pour réaliser ces objectifs, ça prend d’abord des lignes de transport d’électricité. La carte suivante représente le réseau de transport d’électricité du Québec.1

Sur cette carte, on peut voir les interconnexions existantes entre le Québec et ses voisins canadiens. Il y en a quinze au total. Il y a bien sûr l’interconnexion avec Terre-Neuve, via le Labrador, pour recevoir l’électricité produite aux Chutes Churchill. Les autres sont avec l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. Évidemment, d’autres interconnexions existent avec les États-Unis. Grosso-modo, ces interconnexions ont une capacité de livraison d’environ 8000 MW vers les réseaux voisins, et de 6000 MW en provenance de ceux-ci, excluant les Chutes Churchill.

J’ai mis beaucoup d’efforts pour tenter de comprendre à quel endroit pourrait se trouver le corridor énergétique canadien. En regardant la carte du réseau électrique actuel, on voit clairement qu’il y a plusieurs lignes sur un territoire qui, ma foi, est assez vaste.

On peut donc déduire que le corridor, s’il devait exister un jour, partirait de la frontière du Labrador pour traverser le Québec d’est en ouest pour aboutir quelque part en Outaouais. Bref, pour faire transiter à travers le Québec, de l’électricité du Labrador, à partir d’une ou plusieurs centrales qui n’existent pas, et sur des lignes de transport tout aussi inexistantes.

Un corridor gazier

Le cas du corridor gazier intrigue aussi. Encore ici, il s’agit de construire un gazoduc qui permettrait d’acheminer du gaz naturel de l’Alberta vers le Saguenay. L’idée est ensuite de le liquéfier et de l’expédier par bateau vers d’autres pays. La carte suivante illustre l’endroit approximatif où pourrait passer ledit gazoduc.2

Bon, je dis endroit, mais il s’agit plutôt d’un vaste territoire dans l’axe Timmins en Ontario, jusqu’à Saguenay au Québec. Le gazoduc passerait aux alentours de Rouyn-Noranda, de Val d’Or, de Senneterre et de plusieurs communautés autochtones plus à l’est.

Le constat évident ici, c’est que ledit gazoduc passe dans un corridor ouest-est à peu près à la hauteur de la latitude 48.2º Nord. Aucune diagonale. Aucun axe nord-sud.

Un corridor pétrolier

Reste le corridor pétrolier. J’ai déjà écrit dans une autre chronique que ce corridor existe déjà. Il s’agit de la ligne 9B d’Enbridge qui achemine du pétrole de l’ouest canadien vers Montréal. Mais le vrai corridor pétrolier dont on parle maintenant, c’est la résurrection du projet Énergie Est abandonné par TransCanada en 2017. Ce projet visait à construire un oléoduc à travers le Québec pour acheminer du pétrole vers des installations portuaires au Nouveau-Brunswick. La carte suivante montre le corridor que devait emprunter l’oléoduc.3

Une constante inquiétante

Quand on parle d’un corridor énergétique canadien, il y a une constante troublante peu importe la forme d’énergie dont on parle. C’est que le fameux corridor sert essentiellement à faire transiter de l’énergie des autres provinces à travers le Québec, bien plus que de l’énergie du Québec vers d’autres provinces.

Pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan vers le Nouveau-Brunswick. Gaz naturel de la même provenance vers d’autres pays. Électricité de Terre-Neuve et Labrador vers l’Ontario. On sait déjà que ce n’est pas pour transporter l’électricité du Québec, puisque l’Ontario de Doug Ford a déjà laissé savoir à François Legault que les électrons québécois ne l’intéressent pas. Le cas échéant, les électrons ne peuvent venir que du Labrador et nécessiter une nouvelle ligne de transport pour les déplacer.

Un portrait global

La carte suivante montre à quoi ressemble le corridor énergétique canadien avec ses projets de transport d’électricité, de gaz naturel et de pétrole au Québec.4

En orange, on voit le tracé approximatif du projet de gazoduc pour acheminer la gaz naturel à Saguenay. La ligne verte illustre une ligne de transport hypothétique pour transporter de l’électricité de Terre-Neuve vers l’Ontario; celle en rouge, l’oléoduc Énergie Est annulé par TransCanada en 2017.

En gros, le corridor énergétique canadien, dans sa portion québécoise, irait de Rouyn-Noranda à Saguenay. Il partirait du sud de Fermont dans le nord jusqu’à Gatineau en Outaouais. Ensuite, il irait de Montréal à Cacouna en passant par la rive nord du St-Laurent et la rive sud à partir de Lévis, jusqu’à la frontière du Nouveau Brunswick.

Bref, il creuserait son sillon de l’ouest à l’est du nord au sud et en diagonal un peu partout au Québec.

Le Québec serait-il devenu un gruyère?

Notes

  1. TransÉnergie – Plan directeur 2020.http://www.hydroquebec.com/transenergie/fr/
  2. gazoduq. https://gazoduq.com/fr/documentation/cartes/
  3. Office national de l’énergie. https://www.cer-rec.gc.ca/pplctnflng/mjrpp/nrgyst/index-fra.html
  4. Carte: Gouvernement du Québec.  Illustrations superposées, QuébecÉnergie.

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