L’utopique corridor énergétique national

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Avec le déclenchement imminent des élections fédérales, l’inévitable question du corridor énergétique national va revenir à l’avant plan de l’actualité. Bien sûr je ne suis pas devin. C’est tout simplement dans l’ordre des choses puisque l’idée a été lancée par Andrew Scheer et reprise par quelques premiers ministres provinciaux. Aussi, le sujet va naturellement remonter à la surface dès qu’on aura épuisé les questions portant sur l’avortement et sur SNC-Lavalin.

On a déjà entendu que, si l’économie va mal en Alberta et en Saskatchewan, c’est la faute du Québec. Tous savent en effet que le pétrole de l’ouest ne peut atteindre les marchés internationaux parce que le Québec refuse qu’un pipeline passe sur son territoire. Il en va de même avec l’électricité de Terre-Neuve. Ce sont là deux « vérités » indiscutables au Canada anglais.

Mythes fondateurs et fabulation

Quand on vit dans un pays de 10 millions de km2 et qui s’étend sur 6 fuseaux horaires, la recherche d’affinités collectives n’est pas évidente. Dans l’esprit de plusieurs, le Canada est soudé depuis le milieu du XIXe siècle par un chemin de fer qui traverse le pays de l’Atlantique au Pacifique. Il s’agit d’une vision romantique et réconfortante du Canada, un peu comme la soupe poulet et nouilles quand il fait froid. Mais c’est faux.

En réalité, le Canadian National Railway est né au XXe siècle. Il est le résultat d’un amalgame de plusieurs petites compagnies de chemin de fer régionales qui étaient, pour la plupart, en faillite. Ainsi, la matérialisation de ce symbole d’unité nationale est le résultat d’une série de désastres financiers.

Par ailleurs, un autre mythe semblable a vu le jour dans les années cinquante : celui d’un réseau électrique national. De mémoire, c’était une idée surtout véhiculée par John Diefenbaker. La fable voulait que tous les réseaux électriques du Canada soient interconnectés. On souhaitait ainsi assurer une planification intégrée de la production, du transport et de la distribution d’électricité. Pour l’essentiel, ce projet est resté confiné dans son espace-temps imaginaire.

On a bien tenté d’en reparler au début des années quatre-vingt-dix quand l’Amérique du Nord au grand complet s’excitait avec la déréglementation des marchés de l’électricité. La destruction des monopoles électriques devait apporter une plus grande efficacité dans les marchés. L’Ontario s’est converti à cette idéologie, mais le Québec a résisté à cette tentation. On connaît aujourd’hui les résultats sur les tarifs d’électricité des deux provinces.

Un corridor électrique

On se gratte la tête pour tenter de comprendre à quoi pourrait servir un corridor énergétique national. Il ne faut pas observer longtemps une carte de l’Amérique du Nord pour comprendre que les interconnexions entre les réseaux électriques ont plus de sens dans l’axe nord-sud que dans l’axe est-ouest. C’est tout simplement une question de distribution de la population sur le territoire. Inutile de multiplier les interconnexions au Canada pour desservir les marchés américains.

Pour les électrons donc, on conclut rapidement que le corridor énergétique ne servirait qu’à faire transiter l’électricité de Terre-Neuve à travers le Québec vers les marchés de l’Ontario. Ça explique peut-être pourquoi Doug Ford se montre indifférent aux avances faites par le Québec pour lui offrir ses surplus d’électricité.

Un droit de passage pour le gaz naturel et le pétrole

Pour ce qui est du gaz naturel, la carte des gazoducs de l’Amérique du Nord ressemble à un tas de spaghettis.1 On ne relève aucun problème sérieux d’approvisionnement. Évidemment, un observateur attentif constatera qu’un gazoduc qui traverse le nord du Québec à partir de l’Ontario permettrait d’acheminer du gaz naturel de l’Ouest canadien vers le Saguenay. Il ne reste plus qu’à le liquéfier pour l’expédier par bateau vers l’Europe. Un tel projet existe déjà. Le corridor énergétique serait ni plus ni moins que l’équivalent d’un droit de passage.2

Vient ensuite la question du pétrole. Dans ce cas précis, on pourrait dire que le Québec fait très largement sa part pour faire transiter le pétrole de l’Ouest canadien sur son territoire. D’abord, il y a eu l’inversion en 2015 de l’oléoduc 9B d’Enbridge entre l’Ontario et le Québec et l’augmentation de sa capacité de 240 000 barils par jour à environ 300 000 barils par jour. Ce faisant, les deux raffineries du Québec peuvent maintenant s’approvisionner en pétrole canadien si elles le désirent. C’est leur choix.

Il y a ensuite le transport ferroviaire de produits pétroliers de l’ouest canadien à travers le Québec vers le Nouveau-Brunswick. Le triste souvenir de la tragédie de Lac Mégantic nous rappelle douloureusement et régulièrement cette réalité.

Enfin, la construction d’un nouvel oléoduc, comme le projet Énergie Est de TransCanada permettrait bien sûr d’accroître la capacité d’exportation de pétrole en passant par le Québec. Il convient de préciser ici que le Québec n’a jamais formellement empêché la réalisation de ce projet. Et peu importe les raisons, c’est la société TransCanada qui a abandonné l’idée en octobre 2017.

Pendant ce temps dans l’Ouest

Les premiers ministres de plusieurs provinces aiment pointer le Québec du doigt pour l’absence de mouvement énergétique interprovincial au Canada. Comme nous venons de l’illustrer, ils ont généralement tort et l’énergie canadienne circule singulièrement sur et à travers le territoire québécois.

Pourtant, c’est dans l’Ouest canadien que ça hurle le plus fort. Le torchon brûle solide entre l’Alberta et la Colombie-Britannique. Pas sûr que le party lèverait si on invitait à souper les premiers ministres de la Colombie-Britannique et de l’Alberta.

L’objet du litige c’est le pipeline Trans Mountain. Celui-ci transporte du pétrole de l’Alberta à travers la Colombie Britannique depuis 1953, et on souhaite en augmenter la capacité. Flairant les ennuis, la société Kinder Morgan, propriétaire du pipeline, a profité de la crise naissante pour s’en débarrasser. Les actionnaires de cette société ont habilement refilé les problèmes au gouvernement du Canada. Prix d’achat du pipeline par le gouvernement : un peu plus de 4 milliards de dollars.

Le projet d’expansion de ce pipeline vise à accroître sa capacité de transport qui passera de 300 000 barils/jour à 890 000 barils/jour. Ce projet vient tout juste, en juin 2019, de recevoir l’autorisation de l’Office national de l’énergie.3 L’Alberta devrait s’en réjouir et remercier le reste du Canada.

À qui la faute?

De l’opposition aux projets énergétiques, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Le Québec y a largement goûté dans les années 1980 et 1990 quand il était question du projet Grande Baleine. De mémoire, il n’y avait pas grand monde dans le reste du pays pour s’indigner de la situation. On pourrait même penser le contraire.

Aujourd’hui, c’est au tour de l’Alberta et de la Saskatchewan de goûter à cette médecine. Personne ne s’en réjouit. Par contre, ce n’est pas la faute du Québec si la Colombie-Britannique refuse de construire des pipelines à travers son territoire. C’est encore moins la responsabilité du Québec si les communautés autochtones de plusieurs états américains s’opposent à la construction de la phase 4 du pipeline Keystone XL.

Enfin, et malgré une déclaration malheureuse du premier ministre du Québec concernant le niveau de propreté du pétrole albertain, il n’y a jamais eu autant de pétrole de l’Ouest non seulement qui transite par le Québec, mais qui y reste. En 2014, le pétrole canadien comptait pour moins de 10 % des approvisionnements pétroliers au Québec. Les raffineries du Québec préféraient alors magasiner en Algérie, au Kazakhstan, au Royaume-Uni, en Norvège et en Angola. Aujourd’hui, 53 % des approvisionnements pétrolier du Québec viennent de l’Ouest canadien et 40 % des États-Unis.4

Dans le contexte, il faut être de mauvaise foi pour dire que le Québec ne fait pas sa part pour favoriser les mouvements énergétiques au Canada.

En période électorale, il peut être payant d’accuser le Québec d’égoïsme constitutionnel. Mais c’est aussi un pari risqué.

Notes

  1. https://www.spglobal.com/platts/en/products-services/natural-gas/north-american-natural-gas-system-map
  2. https://energiesaguenay.com/en/
  3. https://www.cer-rec.gc.ca/nrg/ntgrtd/pplnprtl/pplnprfls/crdl/trnsmntn-fra.html
  4. http://energie.hec.ca/wp-content/uploads/2018/12/EEQ2019_WEB.pdf

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