Les périls de la pensée autarcique – (1 de 2)

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En temps de crise, plusieurs cherchent des coupables, parce qu’il doit forcément y avoir un responsable quelque part. Quelqu’un de grassement payé qui n’a pas fait son travail correctement et qui a mal mesuré les périls auxquels nous sommes maintenant exposés. Comment se fait-il que nos dirigeants n’aient pas été mieux préparés? En rétrospective, nous savions tous qu’une pandémie était à nos portes, n’est-ce pas? Notre intuition nous dictait qu’il y aurait des pénuries. Comment se fait-il que personne n’ait été capable de prévoir l’imprévisible?

On manque de tout et de rien

La crise de la COVID-19 provoque des pénuries d’équipements médicaux : masques, gants, blouses, médicaments. Le grand vizir orange pense que c’est la faute aux chinois. S’il faut que ce soit la faute de quelqu’un, aussi bien accuser les chinois. Ils sont plus de 1,4 milliard, c’est donc forcément l’un d’eux qui cache tous ces maques N95 quelque part. Et puis n’est-ce pas là que toute cette crise a commencé? L’Organisation mondiale de la santé aurait dû le savoir. C’est aussi leur faute.

Parlant de pénuries, nous avons tous en mémoire ces images de hordes de consommateurs qui se chamaillent pour mettre la main sur du papier de toilette. Chez Costco, c’était très impressionnant. Bousculer une vieille dame pour parvenir à empiler un ènième paquet de papier de toilette dans le panier énorme, aucun problème. Donner une baffe à un autre client pour le tasser du chemin? Il le méritait, votre honneur.

Dans mon quartier à Montréal, un commerçant s’est transformé en psychologue des masses et a distribué gratuitement des rouleaux de papier de toilette. Il a installé des boîtes remplies de rouleaux sur le trottoir devant son commerce avec la mention suivante : S.V.P. prenez en seulement 1 et seulement si vous en avez besoin. Ensemble nous vaincrons cette pandémie. Merci pour votre compréhension.1  Je ne sais pas s’il faut y voir un phénomène de cause à effet, mais à partir de ce moment-là, les tablettes des épiceries du Plateau étaient remplies de papier de toilette, et il n’en a jamais plus manqué.

Irrationalité collective

Les dirigeants des supermarchés avaient beau nous dire et nous répéter qu’il n’y avait pas et qu’il n’y aurait pas de pénurie de papier de toilette, nous avons quand même tous fait une petite réserve. Allez, avouez-le, on ne vous jugera pas. Gustave Le Bon a écrit un livre assez clairvoyant sur le phénomène en 1895 : Psychologie des foules.2 Comprendre l’irrationalité des masses et leur impulsivité peut nous aider à comprendre bien des choses ces jours-ci.

Ainsi donc, une fois passée l’hystérie de masse, un autre mouvement populaire s’est dessiné. Comme si nous allions manquer de tout dans un avenir plus ou moins prévisible, nous devrions tous nous mettre à la culture des fruits et des légumes. Quelle coïncidence : c’est le printemps. Vite à la pépinière du coin. Plantons radis, tomates, concombres, haricots, laitues. Il n’y a pas de balcon si petit qu’on ne puisse pas y faire un jardin. C’est nécessaire. Il le faut. Le premier ministre l’a dit : nous devons nous retrousser les manches et travailler à assurer notre autonomie alimentaire. Des poules aussi. Il nous faut tous des poules. Nous devons produire nos œufs. Il en va de la survie de notre société. Misère.

De la ville aux champs

Bien sûr, pourquoi ne pas aussi se porter volontaires pour aller travailler aux champs. Si on peut planter un rang de carottes dans notre boîte à fleurs, on peut tout aussi bien le faire à grande échelle. Où est la liste des maraîchers du Québec? Ils ont sûrement besoin de main d’œuvre. Nouvelle coïncidence, semblerait que bien du monde se cherche du travail ces jours-ci.

J’ai hâte de voir les habitants des grandes villes s’en allant aux champs en chantonnant le réveil de la nature du compositeur Oscar O’Brien et du poète Alfred Desrochers.

Quelle idée saugrenue. L’agriculture, c’est un métier qui requiert des expertises particulières. C’est aussi un métier difficile, risqué, parfois périlleux, physique. Prétendre qu’une poignée de citadins pourront venir en aide aux agriculteurs, c’est minimiser les compétences et l’expérience requises.

On se calme

Qu’on se le dise, le Québec ne manque pas de bouffe et n’en manquera pas. Calmons-nous, de grâce. Maintenant que nous savons que nous pourrons continuer à nous nourrir et à nous essuyer convenablement, réfléchissons un peu.

Je n’en veux pas au premier ministre Legault d’avoir parlé d’autosuffisance alimentaire. Il travaille fort ces jours-ci, et ses paroles dépassent parfois sa pensée. Je suis convaincu que M. Legault est très au fait des avantages du commerce, que celui-ci soit national ou international. Lui qui veut vendre notre électricité à tous nos voisins à l’est, à l’ouest et au sud, il sait très bien qu’eux aussi souhaitent continuer à nous vendre ce qu’ils produisent.

Si chaque état devait se refermer sur lui-même, ce serait une catastrophe bien pire que celle de la pandémie. C’est pourtant ce que sous-entend l’idée de tout produire nous-mêmes : bouffe, médicaments, masques et tout le reste. Irréaliste et inefficace.

À chacun sa spécialité

Il y a très longtemps, Néan, qui avait du talent pour fabriquer des arcs et des flèches, jasait autour d’un feu avec Derthal, qui lui pouvait tuer une mouche avec une flèche à 20 mètres de distance. Pourtant les deux comparses se riaient l’un de l’autre. Néan désespérait de voir la qualité médiocre des arcs et des flèches de Derthal, et Derthal se tapait sur les cuisses en riant de Néan qui se montrait incapable de tuer un chevreuil à deux pas de lui. Ils ont fini par réaliser que si Néan se concentrait sur la production d’armes et que Derthal employait son temps à chasser, ils pourraient alors tous les deux s’empiffrer de toute la nourriture qu’ils souhaitaient.

Puis un jour ils ont rencontré Cro, qui savait construire des maisons. Ensuite, ils ont fait la connaissance de Magnon, qui maîtrisait les cultures. Néan, Derthal, Cro et Magnon ont compris que si chacun se spécialisait dans ce dans quoi il avait du talent, tous allaient en profiter et se porter mieux.

Il en va du commerce international comme il en va de la spécialisation dans le domaine du travail. Chaque ville, village ou région, chaque pays, chaque nation se spécialise dans la production de quelque chose qui reflète la disponibilité des ressources locales. On ne le voit pas nécessairement, mais c’est aussi grâce à ces spécialisations et au commerce international que nous survivrons à la présente pandémie.

Les avantages du commerce

Au Québec, nous avons des rivières, nous construisons des barrages et nous vendons de l’électricité à nos voisins. Notre territoire regorge de mines, d’où on extrait du minerai que nous exportons. Nous avons développé une expertise en aéronautique, ce qui nous a permis de fabriquer des avions et de les vendre à travers le monde. Et nous avons aussi des forêts qui nous permettent de faire du sirop d’érable et, vous le savez maintenant, du papier de toilette.

La Floride a un climat qui lui permet de faire pousser des oranges et d’autres agrumes que nous mangeons à longueur d’année. Le Mexique produit des avocats, des mangues et de la tequila. Nous nous en régalons. L’Alberta produit du pétrole et nous l’utilisons pour nos déplacements. Et la Chine produit des masques N95 que nous lui achetons.

Sans le commerce des biens et services avec nos voisins et les autres pays, il n’y aurait pas de création de richesse au Québec. Les producteurs du Québec n’aspirent pas uniquement à vendre leurs produits au Québec. Ils veulent exporter et faire plus d’argent. Et les autres pays n’aspirent pas non plus à vendre uniquement à leurs citoyens. Eux aussi veulent vendre leurs cossins ailleurs dans le monde.

Penser que le Québec atteindra l’autonomie alimentaire, c’est irréaliste à moins qu’on décide de ne manger que des carottes, des pommes de terre et des navet – comme nos arrière-arrière-grands-parents. Cette logique vaut également pour tous les autres biens de consommation que nous achetons.

L’autarcie n’a rien de bien réjouissant. Parlez-en aux coréens du nord.

[À suivre la semaine prochaine…pour parler un peu plus d’énergie!]

Notes

  1. Je vous invite d’ailleurs à encourager ce commerçant : Branche d’Olivier, 1376 Mont-Royal Ave E, Montréal. Mais seulement si vous vivez dans le coin. Pour les touristes, attendez la fin du confinement.
  2. Disponible gratuitement et libre de droit. Gracieuseté de l’Université du Québec à Chicoutimi. http://classiques.uqac.ca/classiques/le_bon_gustave/psychologie_des_foules_PUF/psychologie_des_foules.html

2 commentaires

  1. Merci Linda. Je vais discuter un peu plus de l’autosuffisance dans le prochain article. Et bien sûr d’énergie…

  2. Très bon texte Denis. Après lecture, je suis d’accord avec toi, mais on devrait quand même être plus autosuffisants quant aux équipements de base en santé et de grâce, forcer les Chinois à être plus éthiques et moins hypercapitalistes.

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