Le Québec en manque d’énergie

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Dans son budget déposé le 10 mars 2020, le ministre des Finances du Québec annonçait que le gouvernement visait l’augmentation de « notre richesse en bâtissant une économie verte, et ce, en misant prioritairement sur l’électrification de notre économie. »1 Quelque chose comme 6,7 milliards de dollars pour verdir le Québec. Impressionnant et prometteur.

Verdir à vitesse grand V

Le plan budgétaire du gouvernement prévoyait verdir le Québec à vitesse grand V. Il y était prévu de subventionner à tout vent. Les milliards envisagés pour bâtir une économie verte seraient distribués dans de grands projets structurants, certes; mais des centaines de millions étaient aussi prévus pour soutenir des programmes plus ou moins bien définis et des projets au réalisme plus que discutable. Bref, continuer à dépenser un peu n’importe comment plutôt qu’investir avec une véritable stratégie énergétique.

Le plan budgétaire prévoyait entre autres des dizaines de millions de dollars pour se chauffer vert. C’est plus de 1,4 milliard de dollars en subventions qui était prévu pour rouler plus vert. Des centaines de millions en aide financière pour être éco-performant. Et en matière de «généralités», plus de 500 millions de dollars pour de l’adaptation et de l’expertise pour réduire les émissions de GES. Dans quoi? On ne sait pas trop.

Toutes ces subventions devaient être financées grâce notamment aux revenus du système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE). Le fric nécessaire sera consolidé dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) dès l’adoption du projet de loi 44. Ce nouveau Fonds remplacera le Fonds Vert. Le FECC deviendra le Klondyke pour le financement des mesures de rationalité énergétique et environnementale. C’est le plan.

On connait la suite

Mais ça, c’était dans l’ancien temps. Le budget déposé le 10 mars ne sera sans doute jamais mis en œuvre comme présenté. Aucune des hypothèses économiques derrière ce plan ne tient la route aujourd’hui. C’était avant l’avalanche de mesures draconiennes qui paralysent maintenant le Québec.2

Le 13 mars, le gouvernement annonce la fermeture des écoles, des cégeps, des universités et des services de garde.

Le 14 mars, le gouvernement déclare l’état d’urgence sanitaire, interdit les visites dans les centres hospitaliers et les CHSLD.

Le 15 mars, le gouvernement exige la fermeture de plusieurs commerces, endroits publics et lieux de rassemblement.

Le 21 mars, le gouvernement interdit tout rassemblement intérieur ou extérieur.

Le 23 mars, le gouvernement du Québec met le Québec sur pause pour trois semaines.

Le 5 avril, le gouvernement annonce que la pause va se poursuivre au moins jusqu’au 4 mai.

À suivre…

Le vent dans les voiles

On se souviendra longtemps de ce 10 mars 2020 comme un jour de grandes réjouissances économiques. Au moment de déposer ce budget, l’économie du Québec était au beau fixe. Plusieurs entreprises s’arrachaient les travailleurs spécialisés. On manquait de main d’œuvre dans à peu près toutes les régions du Québec. Le taux de chômage était à son plus bas depuis plusieurs générations. Les tarifs d’électricité étaient gelés pour une année. On se targuait de vouloir exporter davantage d’électricité chez nos voisins, canadiens ou américains.

L’économie du Québec avait le vent dans les voiles et avançait à plein régime. Grâce à des dépenses massives dans des travaux d’infrastructure, elle était même en surchauffe dans bien des secteurs. Seulement à Montréal et dans ses environs immédiats, on a construit deux méga-hôpitaux. On a refait un des échangeurs routiers le plus achalandé en Amérique du nord. Le gouvernement fédéral a construit un nouveau pont auquel on a ajouté un prénom. La Caisse de dépôt a entrepris la mise en œuvre d’un plan de transport collectif avec le REM. À la mairie de Montréal, on a fait des plans d’expansion du métro. Une pluie de milliards semblait s’être abattue sur le Québec.

Calme plat

Les surplus budgétaires annoncés le 10 mars dans le budget du Québec sont disparus et pavent déjà la voie à d’importants déficits. Dans peu de temps, et pour pallier les baisses des recettes fiscales, le gouvernement devra piger dans le Fonds des générations, dans ses réserves d’urgence et, pourquoi pas, dans les milliards accumulés dans le FECC. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. On trouve l’argent là où il se trouve.

Ailleurs, on peut penser que le déficit attendu du gouvernement du Canada et qui dépassera sans doute les 200 milliards de dollars sera gérable. Pas sûr. Terre-Neuve et Labrador n’a déjà plus les liquidités nécessaires pour fonctionner. L’Alberta s’enfonce de jour en jour dans une débandade économique abyssale alimentée par les querelles pétrolières entre l’Arabie Saoudite et la Russie. Rien de bien rassurant pour l’avenir immédiat.

Retour vers le futur

Les marchés boursiers qui n’ont eut cesse de grimper de manière soutenue depuis plus de dix ans vont vraisemblablement se contracter et végéter pendant plusieurs années. Oubliez les rendements annuels de 15 %. Oubliez les dividendes – la plupart des grandes entreprises vont les couper.

Quand les accommodements financiers temporaires des gouvernements vont disparaître, les mises à pied vont forcément suivre. Le gouvernement ne pourra pas subventionner des salaires à hauteur de 85 % pendant longtemps. Il ne pourra non plus continuer à distribuer de l’argent gratuit à tous les citoyens à hauteur de 2000 $ par mois. Cette mesure temporaire sera vite insoutenable.

On constate déjà que plusieurs régimes de retraite de grandes entreprises sont sous-capitalisés. Ils l’étaient déjà avant la crise et le trou financier va se creusé davantage dans les mois à venir. La toute petite pointe de l’iceberg. Mais il est vrai qu’en période d’exubérance économique, le laxisme réglementaire s’accompagne souvent de procrastination et d’insouciance. C’est malheureux.

Le taux de chômage du Québec de retour à 4,5 %? Oubliez-ça. Une diminution des impôts des particuliers? Ça va devenir une histoire folklorique à raconter à vos petits-enfants. Les banques vont commencer tôt ou tard à récupérer des trousseaux de clés. La surchauffe immobilière va se refroidir. Il va manquer cruellement de logements sociaux. Des retraités ne pourront plus payer les frais de leur résidence. Bien des ménages ne pourront plus payer leurs factures d’électricité.

Sombres perspectives me direz-vous. Oui, bien sûr. Inutile de faire comme si rien ne s’était passé. Lorsqu’on aura fini de soigner les malades, il faudra venir au chevet de l’économie. Celle-ci ne se réveillera pas instantanément sur la simple application d’un électrochoc. Le réveil n’en sera pas moins brutal.

«Play»

Quand le gouvernement appuiera sur le bouton «play» dans quelques semaines, le film qui se mettra à jouer ne sera pas le même qu’au moment de mettre le Québec sur «pause». Une économie que l’on met en veilleuse ne se réveille pas comme à la suite d’une courte sieste. Tout va changer, notamment les priorités des gouvernements, des entreprises et des individus.

Les gouvernements prennent déjà la mesure des coûts de la pandémie. Ils devront payer la facture des mesures d’urgence. Ils devront aussi récompenser convenablement les travailleurs qui ont mis leur vie en péril pour sauver celle des autres. De belles luttes syndicales en perspective. Relancer l’économie avec des grands projets d’infrastructure est un grand classique, mais on va les financer avec quel argent?

Bien des entreprises vont revoir leur plan de croissance. Elles seront probablement en mode de repli, de consolidation, de rationalisation, et ce, pendant des mois, sinon des années. Il va forcément y avoir un réalignement des priorités. On va vite se rendre compte que nourrir le Fonds Vert ou le FECC c’est bien quand tout va bien. J’entrevois déjà les regroupements d’entreprises pour exiger de mettre le SPEDE sur mode «pause». L’efficacité énergétique, le verdissement des opérations et l’adoption de meilleures pratiques environnementales vont malheureusement redescendre dans la liste des priorités.

Et pour les individus, la vie ne sera pas plus facile. Si un pourcentage élevé de ménages vivait de paye en paye avant la pandémie, on peut aisément penser que ce sera pire après. Faute de travail, bien des étudiants ne pourront pas terminer leurs études. La liste des abonnés au supplément de revenu garanti va s’allonger. Ceux et celles qui conserveront leur emploi ou qui le retrouveront risquent de réduire leur niveau de consommation. Par prudence d’abord, et par rationalité ensuite.

On peut penser et dire que ça va bien aller. Mais ça pourrait bien prendre du temps.

Notes

  1. http//www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2020-2021/
  2. https://www.quebec.ca/premier-ministre/actualites/communiques/

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