Le gros méchant VUS de Catherine

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À l’automne 2018, j’ai eu beaucoup de sympathie pour Catherine Dorion, nouvellement élue députée à l’Assemblée nationale du Québec. Elle aurait dû savoir, au lendemain de son élection, qu’on allait épier tous ses faits et gestes à la recherche d’une contradiction quelconque. Et ça n’a pas tardé, l’humain est ainsi fait. On aime chercher des bébittes.

La pauvre Catherine a eu la mauvaise idée de s’acheter une voiture. Et pas n’importe laquelle. Une « grosse » Subaru XV Crosstrek 2015.1 Catherine Dorion aime bien aller dans le bois. Ça fait partie de ses besoins et c’est bon pour la santé mentale.2 Bravo! Je suis parfaitement d’accord : j’adore faire très exactement la même chose. Regardez bien la photo qui suit. C’est assez loin dans la forêt. Disons plusieurs dizaines de kilomètres, sur des chemins, comme sur la photo. Dites-moi si vous iriez à un pareil endroit avec une voiture électrique ou une mini-compacte. Soyez honnête.

De mon côté, j’ai essayé avec une Toyota Echo et j’y ai laissé un silencieux. Je n’ai pas osé avec une Smart Fortwo, une Yaris ou une Fiat. Je suis certain que ce sont de bonnes voitures. Utilisées dans un contexte plus favorable, elles offrent sans doute tous les services qu’on en attend.

Ben oui, un char, ça émet du CO2

Selon Ressources naturelles Canada, la voiture de Catherine, la Subaru XV Crosstrek 2015 en version transmission automatique, et qualifiée de véhicule utilitaire sport (VUS), consomme 9,1 litres d’essence au 100 km en ville, et 7 litres/100 km sur la route. En moyenne, les émissions de CO2 sont de 186 g/km.3

En comparaison, une Fiat Cabrio 2015, également en version automatique, mais qualifiée de mini-compacte, consomme 8,7 litres/100 km en ville et 6,9 litres/100 km sur la route. En moyenne, des émissions de CO2 de 182 g/km. On parle ici d’un écart de 4 minuscules grammes de CO2 par km. Mais la voiture de Catherine, c’est un gros-méchant VUS, et non pas une sympathique mini-compacte.

Sale pollueur!

L’automne dernier, j’arrivais d’une expédition dans les montagnes de Charlevoix le long de la rivière Sainte-Anne. Vieux sentiers forestiers mal entretenus, roches, branches mortes, trous. Je fais ce genre de voyage de préservation de santé mentale depuis une dizaine d’années. Pour m’y rendre, j’ai acheté une BMW X3si 2007, usagée. Elle offre l’avantage d’avoir un empattement assez modeste – ce qui est pratique quand on escalade des grosses roches – et de présenter un bon dégagement par rapport au sol. Et surtout, elle a une plaque de protection sous le châssis sur toute la surface du véhicule.

À un retour d’expédition, disais-je, j’étais arrêté à un feu rouge. Venu de nulle part, un cycliste s’est arrêté près de mon véhicule, a craché dessus et, en hurlant, m’a traité de pollueur. Il est aussitôt reparti, brûlant le feu rouge, bien évidemment. J’habite sur le Plateau Mont-Royal. Je n’ai donc pas été très surpris. C’est assez commun.

Examen de conscience

Arrivé à la maison, j’ai fait un petit examen de conscience. Ma voiture est gloutonne. Elle boit 13,7 litres/100 km en ville et 9,9 litres/100 km sur la route pour une moyenne de 276 grammes de CO2 par km. Pas le meilleur VUS au monde, mais pas le pire non plus.

Ensuite, et tant qu’à faire un examen de conscience, je me suis vraiment demandé si j’étais le pire pollueur du Plateau Mont-Royal. Voyez-vous, je travaille dans le vieux Montréal. La très grande majorité du temps, j’y vais en transport en commun. L’été, je marche ou je prends le vélo. Ma grosse BMW sale et polluante reste donc dans mon stationnement des jours entiers, sinon des semaines. C’est déjà arrivé.

Or, selon un principe physique relativement simple, une voiture qui ne roule pas ne consomme pas d’essence et ne pollue pas. J’ai vérifié. Aussi, il est hasardeux de faire une association directe entre le nombre de véhicules « sur nos routes » et les émissions de GES. Les calculs peuvent être précis, mais ils sont probablement inexacts. Attention ici: je n’ai pas dit que ça n’avait aucun rapport. Je dis juste que la corrélation n’est pas parfaite.

(Petite parenthèse)

On peut se désoler qu’il se vende de plus en plus de 4 X 4 au Québec. Ce phénomène n’est pas difficile à comprendre. L’industrie de la construction roule à plein régime depuis plusieurs années. Des outils et des matériaux de construction, ça se transportent beaucoup mieux avec un 4 X 4 qu’avec une Tesla. Avez-vous déjà remarqué aussi qu’une feuille de contreplaqué entre parfaitement dans la boîte d’un tel véhicule. Quelle coïncidence! Et pour transporter des rebus de construction à l’écocentre du quartier, rien de plus pratique qu’un 4 X 4.

Le secteur minier n’est pas non plus dans la misère ces années-ci, et les grosses cylindrées utilitaires y sont justement, utiles. Pour se promener dans les chemins de gravier d’un parc éolien, rien de mieux qu’un 4 X 4. Non seulement c’est pratique, mais, à bien des endroits, c’est obligatoire pour des raisons de sécurité. Et ces véhicules ne font pas nécessairement plus de kilométrage annuellement qu’un banlieusard qui se tape 2 heures d’embouteillage quotidiennement.

La corrélation entre le nombre de véhicules et les émissions de GES n’est pas linéaire. Et les émissions ne sont pas non plus parfaitement corrélées avec les différentes catégories de véhicules « sur les routes ». Les émissions sont davantage le reflet de l’utilisation des véhicules que de leur nombre. Vous verrez comment les émissions vont baisser dramatiquement dès qu’il y aura une récession. Ça s’en vient. Soyez un peu patient.

(Fin de la parenthèse)

L’autopartage, est-ce que ça pollue moins?

Je vois beaucoup de véhicules en autopartage qui sont continuellement sur la route. Ce qui amène nécessairement à une réflexion fort pertinente selon moi. Est-ce que ma BMW, qui fait souvent du sur-place, pollue plus qu’un véhicule en autopartage qui sillonne continuellement les rues de Montréal?

Pas facile de trouver des statistiques sur le sujet. J’ai finalement déniché une étude de Tecsult 4 qui date de 2006. Dans cette étude, on précise qu’en 2005, Communauto avait 8 323 abonnés pour 434 véhicules (principalement des Toyota Echo), ce qui donne 19,2 abonnés par véhicule. La même étude nous apprend que le nombre moyen de km parcouru par année et par abonné est de 5 158. Donc, 19,2 abonnées multiplié par 5 158 me donnent 99 034 km/an par véhicule. C’est beaucoup. J’en fait 10 000 avec mon VUS.

Mais attention. Les flottes d’autopartage évoluent. Elles s’adaptent aux besoins des clients. Quelqu’un a sans doute réalisé qu’une voiture, ça sert à autre chose qu’à transporter un brocoli ou un litre de lait. Les auto-partageurs peuvent maintenant eux aussi se promener en VUS. Chez Car2Go à Montréal, par exemple, on met à la disposition de la clientèle des Mercedes-Benz GLA.5 Selon Ressources naturelles Canada, ce modèle 2019 émet en moyenne 209 grammes de CO2 par kilomètre. C’est 11 % de plus que le gros VUS 2015 de Catherine. Ah bon.

Comme je l’ai dit plus haut, un véhicule qui ne roule pas ne pollue pas. Il y en a tout plein sur le Plateau Mont-Royal. Lorsque je travaille à partir de la maison, je suis surpris de voir toutes les voitures dans ma ruelle qui ne bougent à peu près jamais. Quand elles bougent, c’est surtout les fins de semaine. Au moment même où tous les abonnés des services d’autopartage quittent la ville.

D’ailleurs, si mes voisins ne possédaient pas de voitures, il y aurait une demande accrue pour plus d’autopartage, surtout les fins de semaine. Soit les prix augmenteraient, soit il y aurait forcément plus de véhicules disponibles pour satisfaire les besoins de fins de semaine. À défaut, il y aurait plus de gens malheureux qui ne pourraient aller prendre soin de leur santé à la campagne. Donc plus de véhicules utilisés moins souvent – en semaine. Retour à la case départ. Paradoxal n’est-ce pas?

Examen de conscience prise 2

Est-ce que tous les abonnés des services d’autopartage seraient propriétaires d’un véhicule si ces services n’existaient pas. La réponse est non. Sur le Plateau, et grâce à son maire, il y a de moins en moins d’espaces de stationnement pour soutenir cette hypothèse. Je suppose donc que les usagers se déplaceraient en transport en commun, marcheraient, prendraient le taxi, pitonneraient sur leur application Uber, enfourcheraient un Bixi et, dès l’été prochain, feront de l’équilibrisme sur une trottinette électrique. Déjà que plusieurs bixistes se comportent avec témérité hors des pistes cyclables, j’ose à peine imaginer le louvoiement des trottinettes qui tenteront d’éviter les nids de poules. Sur ce dernier point, je n’ai pas hâte de voir les statistiques des urgences des hôpitaux de Montréal.

Et puis, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas admettre que sur le Plateau Mont-Royal, un VUS, c’est beaucoup plus utile pour sortir des bancs de neige qu’une Smart ou une Fiat. Vous dire le nombre de fois que j’ai vu, cet hiver, un attroupement de personnes sortir des petites voitures des congères, ce n’est pas possible. J’en ai même poussé deux dans la ruelle avec ma grosse BMW.

Tout compte fait, j’avais l’intention de vendre ma BMW au printemps. C’est une idée qui me trotte encore dans la tête. Par contre, en la conservant, je ferai oeuvre sociale car je continuerai à payer annuellement des frais de transport en commun de 75 $ quand je renouvelle son immatriculation. De plus, je contribuerai à réduire les émissions de gaz à effet de serre qui résulteraient de la fabrication d’une nouvelle voiture. Mon véhicule a été fabriqué il y a treize ans. Il lui reste quelques bonnes années. Et puis, il m’arrive de prêter mon véhicule à mes neveux et nièces et à mes amis. Eh oui, j’ai aussi succombé à l’autopartage.

Finalement, tant pour des raisons environnementales que  pour des raisons pratiques, je pense que je vais conserver ma vieille BMW. C’est trop utile un véhicule utilitaire. Surtout sur le Plateau Mont-Royal.

Notes

  1. https://www.journaldequebec.com/2018/11/21/quebec-solidaire-on-nest-pas-contre-les-voitures—manon-masse
  2. https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/11/21/catherine-dorion-a-une-voiture-parce-qu-elle-est-comme-tout-le-monde_a_23596439/
  3. https://www.rncan.gc.ca/energie/efficacite/11939
  4. TECSULT (2006). Le projet auto+bus : Évaluation d’initiatives de mobilité combinée dans les villes canadiennes. [PDF] 248 p.
  5. https://www.car2go.com/CA/fr/montreal/

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