Je veux, non, j’exige une subvention pour mes espadrilles!

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Au tournant des années 2000, Gaz Métropolitain1, Gazifère et Hydro-Québec, menaient la charge en matière d’efficacité énergétique au Québec. Ensemble, les trois entreprises consacraient des petites fortunes en marketing direct et indirect pour inciter les consommateurs à faire des économies d’énergie. Des centaines de millions de $ ont aussi été dépensés, et parfois investis, en subventions et en programmes d’aide financière de toutes sortes.

Le gouvernement du Canada aussi avait les poches profondes. Une multitude de programmes de subvention s’ajoutaient à ceux des distributeurs d’énergie. De l’argent pour l’efficacité énergétique, il y en avait en masse et encore plus. Pour plusieurs, c’était l’âge d’or de cette industrie. Pourtant, on n’avait encore rien vu.

Quand Cendrillon devient princesse

Pendant ce temps, l’Agence de l’efficacité énergétique du Québec (AEÉ) crevait de faim. L’organisme disposait d’un minuscule budget de quelques millions de dollars, à peine suffisant pour payer les salaires de ses fonctionnaires, et tout juste assez pour payer quelques voyages en autobus entre Montréal et Québec. La privation est l’une des causes principales du ressentiment. C’est connu.

Les choses ont commencé à changer lorsque l’AEÉ s’est métamorphosée en Bureau de l’efficacité et de l’innovation énergétique (BEIÉ) en 2011. Mais le vent a définitivement tourné en 2017 avec la création de Transition Énergétique Québec (TÉQ). TÉQ est un organisme mutant du BEIÉ. Avec TÉQ, les milliards se sont mis à pleuvoir, avec la conséquence qu’on voit beaucoup de dépenses, mais peu d’investissements.

Deux poids, deux mesures

Les distributeurs d’énergie doivent soumettre leurs plans et programmes d’efficacité énergétique devant la Régie de l’énergie pour approbation. Ils le font depuis plus de vingt ans. Pourquoi? Parce que les dépenses des programmes des distributeurs d’énergie ont forcément un impact sur les tarifs d’électricité et sur le prix du gaz naturel. À peu près tout le monde comprend ça.

En clair, les distributeurs doivent démontrer, preuves et calculs à l’appui, par des tests de neutralité économique, que les programmes d’efficacité énergétique n’ont pas d’impact négatif indu sur les tarifs et sur les prix. Le cas échéant, ils doivent justifier la pertinence du programme selon d’autres critères qui varient en fonction de la situation. J’insiste ici sur preuves et calculs à l’appui.

Il en va de même pour l’évaluation pourtant logique des taux d’opportunisme. Ce concept est l’une des pierres angulaires de tout programme d’efficacité énergétique qui se respecte. Cette mesure est essentielle pour démontrer que les sommes dépensées dans les programmes ne profitent pas indûment aux opportunistes. Mais il est vrai qu’on ne parle plus d’efficacité énergétique, mais de transition énergétique.

Les distributeurs doivent toujours soumettre une partie de leurs programmes à ce processus rigoureux. Pour les interventions pilotées par TÉQ,  le législateur a jugé que la pertinence des analyses critiques, les tests de neutralité tarifaire et la détermination des taux d’opportunisme n’étaient pas nécessaires. La rigueur économique a en effet été reléguée aux oubliettes.

Je décide, tu payes

Par quelques modifications législatives et réglementaires, les élus ont accordé à TÉQ des pouvoirs quasi infinis de taxation indirecte sur les sources d’énergie vendues au Québec. Pour plusieurs de ses programmes, TÉQ refile la facture aux distributeurs d’énergie, donc, aux consommateurs, et ce, bien sûr, sans égard aux impacts tarifaires conséquents.

C’est un peu comme si j’organise un party chez vous et que j’y invite tout le monde, sauf vous. Et qu’ensuite je vous laisse faire le ménage et ramasser les pots cassés. Et bien évidemment, c’est vous qui allez payer pour le party et pour le ménage.

Le reste de son financement, TÉQ l’obtient du Fonds vert. Bref, la disette est terminée. Quand on prive un organisme de nourriture pendant des années, il est inévitable qu’un jour il va vouloir s’empiffrer.

Conditionnement

Ivan Pavlov est né le 14 septembre 1849 à Riazan dans la Sainte Russie. Ce scientifique est le père du conditionnement classique, un concept du béhaviorisme.2 En gros, cette théorie s’intéresse aux résultats d’un apprentissage dû à l’association entre des stimuli de l’environnement et les réactions automatiques de l’organisme.

À l’origine, l’expérience de Pavlov consistait à mesurer la production de salive des chiens. Il faisait défiler des pitous dans son laboratoire, leur mettait de la poudre de viande dans la bouche et mesurait la production de salive. Après un certain temps, Pavlov se rendit compte que les pitous commençaient à produire de la salive en abondance avant même qu’on leur donne de la nourriture.

Pavlov compris alors la puissance de l’apprentissage. À force d’être exposé à une situation répétitive, le chien, par association, produisait de la salive dès qu’il entrait dans le laboratoire ou qu’il voyait l’individu qui lui donnait de la nourriture. D’où l’expression « réflexe de Pavlov ».

Puits sans fond

Le Fonds vert est comme un puits sans fond. On y puise l’argent à coup de centaines de millions, et il en reste toujours. Il est vrai qu’avec le marché du carbone, on rempli le Fonds vert au fur et à mesure, et de plus en plus vite. L’argent sort donc à la vitesse qu’il y entre, ce qui peut entraîner des dérapages.

Il y avait bien le Conseil de gestion du Fonds vert qui a tenté d’y mettre un minimum de discipline et de raison, mais le gouvernement questionne son utilité.3 Surprenant, si l’on se rappelle la déclaration du premier ministre Legault en décembre 2018 à l’effet que le Fonds vert « c’est géré n’importe comment ».4 Philippe Couillard avait dit sensiblement la même chose en février 2016 alors qu’il était premier ministre.5 Une si belle convergence d’idées.

Il ne suffit pas de publier la liste des projets financés par le Fonds vert pour créer une illusion de transparence. Ce n’est là qu’un faux-fuyant de reddition de compte. Pour savoir s’il y a gaspillage ou non, il faut évaluer la performance des projets. Il faut surtout voir la pérennité des mesures et des projets financés. Mais dans le fond, qui ça intéresse?

Retour sur Pavlov

À force de parler des milliards du Fonds vert dans les médias, on en vient à penser qu’on peut s’en servir pour financer toutes sortes de choses. L’éclat de l’or aveugle parfois. Et à l’image des chiens de Pavlov, les humains aussi sont capables d’apprentissage et de conditionnement.

Quand Pierre-Karl Péladeau a annoncé la reprise de Téo-Taxi en avril, il n’a pas manqué de dire, le jour même, qu’il entendait solliciter le Fonds vert.6 Réflexe pavlovien. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, veut interdire le chauffage au mazout sur son territoire d’ici 2030. On demande à Québec de bonifier le programme Chauffez vert.7 Réflexe pavlovien. Le financement d’un oléoduc entre Montréal et Lévis? Subvention du Fonds vert.8 Réflexe pavlovien.

Alors moi aussi je salive devant le Fonds vert.

Je marche pour me rendre au travail. Je contribue ainsi à réduire les émissions de gaz à effet de serre en laissant ma voiture à la maison. J’exige donc que le gouvernement subventionne mes espadrilles, et mon prochain vélo tant qu’à y être.

Pur réflexe pavlovien.

Notes

  1. La compagnie Gaz Métropolitain deviendra Gaz Métro en 2003 avant d’être rebaptisée Énergir en 2017.
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Conditionnement_classique
  3. C’est du moins ce que laisse entendre le gouvernement du Québec dans son dernier budget. Voir à la page E.14. http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2019-2020/fr/documents/PlanBudgetaire_1920.pdf
  4. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1142866/quebec-rapport-gestion-gaz-effet-de-serre-chasse
  5. https://lactualite.com/actualites/la-gestion-du-fonds-vert-sera-revue-en-profondeur-promet-couillard/
  6. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1166185/pkp-taxi-hochelage-diamond-teo-taxi-techno
  7. https://www.ledevoir.com/politique/montreal/553770/la-fin-du-mazout-en-2030-a-montreal
  8. https://www.journaldequebec.com/2016/04/07/les-pipelines-toujours-admissibles-a-laide-du-fonds-vert

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