Efficacité énergétique et dynamisme réglementaire

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L’été est la saison préférée des gouvernements pour lancer des consultations. C’est connu. Évidemment, c’est aussi la période de l’année où la très vaste majorité de la population souffre de déficit d’attention saisonnier. Bien plus intéressant de lire, sur le bord de la piscine, un roman de David Goudreault1 que la version modifiée par le gouvernement du Québec du Code national de l’énergie pour les bâtiments (CNÉB). Mais l’efficacité énergétique ne peut se permettre d’attendre.

La Régie du bâtiment (RBQ) a donc judicieusement choisi le 10 juillet pour publier dans la gazette officielle, un projet de règlement modifiant le Code de construction.2 Tout juste avant les vacances de la construction. Commentaires attendus pour le 23 août. Bonnes vacances.

Ça fait quoi dans la vie le CNÉB?

Le CNÉB établit les critères minimaux en regard de l’efficacité énergétique pour la construction de nouveaux bâtiments au Canada. Les critères que le CNÉB inclut représentent le strict minimum acceptable en matière d’efficacité énergétique, et cela, lorsqu’il est formellement adopté par les provinces et mis en application. Tout ce qui dépasse ce seuil entraîne une amélioration en ce qui a trait à l’efficacité énergétique minimale. Bref, le CNÉB est le seuil de médiocrité en matière d’efficacité énergétique dans la construction de bâtiments neufs.

Pour respecter ce seuil minimal, le CNÉB autorise trois méthodes. La méthode prescriptive exige le strict respect des exigences de tous les articles du code. C’est comme suivre une recette. Difficile de se tromper.

Il propose aussi la méthode des solutions de remplacement. Cette méthode permet la substitution de certaines mesures prescriptives. Par exemple, une plus grande fenestration que celle autorisée par le code pourrait être compensée par une isolation supérieure. Ici on encourage la flexibilité dans la conception. Les architectes adorent.

Enfin, la méthode correspondant à l’approche performance permet d’adopter différentes mesures au choix des concepteurs à condition de démontrer que l’efficacité énergétique du bâtiment sera égale ou supérieure aux exigences du code. 3 Ça, c’est l’approche préférée des ingénieurs.

Prenons notre temps, ça presse!

Accroître l’efficacité énergétique des bâtiments fait clairement partie des priorités gouvernementales. Il y a donc forcément urgence d’agir. Pour l’essentiel, en matière de normes d’efficacité énergétique pour les bâtiments, on travaille encore avec les critères du document Mesures d’économie d’énergie dans les nouveaux bâtiments qui date de…1983. Je ne l’invente pas. Ça vient du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. 4

En fait, c’est tellement une priorité qu’on nous annonce le rehaussement imminent des normes de construction pour tenir compte de l’efficacité énergétique depuis une ou deux générations. Nous avons d’ailleurs déjà traité de ce sujet dans une autre chronique le 5 février 2019.

Dans son communiqué annonçant la publication du projet de règlement, la RBQ précise que cette action « donne suite aux engagements décrits au Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. » Plan publié en 2012, il y a sept ans. Jean Charest était encore premier ministre du Québec. Depuis, il y a eu Pauline Marois, Philippe Couillard et François Legault.

Ceci expliquant cela, c’est probablement pour ça que la version de 2011 du CNÉB n’a jamais été adoptée et qu’on passe directement à la version de 2015. Il est parfois urgent de prendre son temps. C’est connu.

C’est fois-ci, c’est la bonne

On se retrouve donc plusieurs années plus tard pour voir une ultime référence à ces efforts soutenus de rehaussement des normes. C’est dans le plan directeur 2018-2023 de Transition énergétique Québec (TÉQ). On y apprend qu’il y aura adoption du Code national de l’énergie pour les bâtiments – Canada 2015, y incluant les modifications pour le Québec. Là c’est clairement et explicitement dit. Mais le crédit de cette action n’a rien à voir avec TÉQ. Le plan directeur ne fait ici qu’informer d’une activité de la RBQ.

Franchement, on n’y croyait plus. La première version du CNÉB a été publiée en 1997. À l’époque, il s’appelait Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments (CMNÉB). « Modèle » parce qu’au Canada, l’élaboration des codes nationaux du bâtiment relève de la Commission canadienne des codes du bâtiment et de prévention des incendies. Liberté aux provinces de les adopter, de les modifier et de les mettre en application. Ou de ne rien faire du tout. C’est ce que le Québec a fait depuis 1983.

Le CMNÉB a été mis à jour en 2011 et renommé CNÉB. On a tronqué le mot «modèle». Question de consistance et de cohérence avec les autres codes modèles nationaux. Puis, il y a eu la mise à jour de 2015 avec ses quelque 90 nouvelles modifications susceptibles d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. La version de 2011 par rapport à celle de 1997 en contenait presque 250. Comme quoi les progrès sont toujours possibles.

Progression soutenue

Les améliorations de la performance énergétique des bâtiments sont dynamiques. Il s’en fait continuellement grâce aux travaux de R&D et aux innovations. Aussi, d’une version du code à une autre, on peut constater l’impact du rehaussement des critères minimaux. Voici une illustration de la réduction de la consommation d’énergie par type de bâtiment selon le CNÉB 2011 et le CMNÉB 19975 :

  • Tour de bureau : 31,9 %
  • École secondaire : 28,3 %
  • Immeuble à logements de hauteur moyenne : 16,9 %
  • Entrepôt : 33,3 %
  • Magasin à grande surface : 30,5 %
  • Petit centre commercial : 18,7 %

J’adore ces statistiques. Elles démontrent avec limpidité le prix de la nonchalance réglementaire. Mais surtout, elles confirment le plein potentiel de la réglementation en matière d’efficacité énergétique : en moyenne, 25 % d’amélioration. Elles donnent aussi une mesure de la futilité de mettre en place de coûteux programmes d’aide financière pour encourager l’implantation de mesures d’efficacité énergétique. Clairement, il suffit de réglementer…et d’inspecter. Mais pour inspecter, il faut des inspecteurs.

Un des fondements de l’efficacité énergétique, c’est qu’il en coûtera toujours moins de bien faire les choses au moment de la construction d’un bâtiment. Toute tentative d’améliorer la performance d’un bâtiment par une rénovation ultérieure coûtera forcément plus. Et un bâtiment mal foutu gaspillera de l’énergie pendant des décennies. L’attentisme ne fait que nourrir ce phénomène.

Rattraper le temps perdu

Le CMNÉB 1997 n’a pas obtenu le succès escompté et les provinces ne se sont pas bousculées pour l’adopter. À la décharge de ces dernières, il faut dire que les critères de ce code reflétaient des moyennes nationales. Difficile d’établir des règles et des normes d’efficacité énergétique pour une mise en oeuvre uniforme à Burnaby, Oshawa et Sept-Îles.

Pour la version du CNÉB 2011, des ajustements ont été apporté et l’Ontario a donné le ton en l’adoptant dès 2012. La Nouvelle-Écosse l’a fait en 2013. Ce fut également le cas de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Manitoba. Le CNÉB 2015 a été adopté par la Nouvelle-Écosse en 2017 et par la Colombie-Britannique en 2018.

Une version “provisoire” du CNÉB 2017 a été publiée par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Les modifications proposées à la version de 2015 permettraient une amélioration potentielle de l’efficacité énergétique de 10,3 à 14,4 % par rapport à l’édition de 2011. L’Alberta, province supposément arriérée en matière d’efficacité énergétique, a adopté une version modifiée du CNÉB 2017 en février 2019. 6

En adoptant le CNÉB 2015, le Québec ne fait ni plus ni moins que de la réglementation de rattrapage. On prétendra sans doute que malgré l’absence d’adoption du CMNÉB 1997, puis du CNÉB 2011, les constructeurs rehaussaient la qualité des constructions de manière volontaire.

Ben voyons.

Notes

  1. Au lendemain de la journée qui fait la promotion de l’achat d’un livre québécois, je vous recommande cette trilogie publiée chez Stanké: La bête à sa mère, La bête et sa cage, et Abattre la bête.
  2. https://www.rbq.gouv.qc.ca/lois-reglements-et-codes/projets-de-reglement/en-consultation.html#c18859
  3. https://www.rncan.gc.ca/batiments/code-national-de-lenergie-du-canada/20676
  4. Guide de conception d’un bâtiment performant – Fascicule 1 / Notions de base et simulation énergétique. Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Québec, 2016, page 15.
  5. https://cnrc.canada.ca/fr/certifications-evaluations-normes/codes-canada/publications-codes-canada/lignes-directrices-ladaptation-code-national-lenergie-batiments-2011
  6. https://nrc.canada.ca/fr/certifications-evaluations-normes/codes-canada/adoption-codes-modeles-au-canada

2 commentaires

  1. La période de consultation du projet de règlement modifiant le Code de construction par l’insertion du chapitre I.1, Efficacité énergétique du bâtiment, a été prolongée de 45 jours le 5 août dernier. Les personnes intéressées ont donc jusqu’au 7 octobre 2019 pour transmettre leurs commentaires.

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