Canicule, climatisation et fin du monde

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L’été est encore tout jeune et déjà nous avons flirté avec la canicule à quelques reprises. Confort oblige, le marché de la climatisation a le vent dans les voiles. Qui ne rêve pas de dormir la nuit, bien au frais? Au Québec, on avait plutôt pris l’habitude de dormir bien au chaud. Cependant, le réchauffement planétaire change la donne.

ABC de la climatisation

Pendant la dernière canicule, j’ai entendu (ou lu, je ne m’en souviens plus très bien) des gens dire que nous devrions réduire le nombre de climatiseurs, car ceux-ci émettent de la chaleur et empirent les effets de la canicule. Ça m’a fait un peu sourire. Et puis j’ai réalisé que c’était une réaction normale. Avant que je travaille dans le domaine de la géothermie, dans une ancienne vie, j’ignorais à peu près tout des lois de la thermodynamique. J’en savais encore moins sur le principe de la thermopompe, une trouvaille de l’autrichien Peter Ritter von Rittinger au 19e siècle.

Vous avez déjà sans doute jeté un coup d’œil derrière votre réfrigérateur. Rappelez-vous la dernière fois que vous avez enlevé la poussière qui s’accumule dans le grillage derrière. Vous avez senti la chaleur, j’en suis sûr. Que fait votre frigo? Eh bien il prend la chaleur des aliments que vous y mettez et il la rejette à l’extérieur. Bref, il déplace de la chaleur d’un environnement à un autre. C’est le principe de la réfrigération.

En tant que tel, votre frigo ne produit donc pas de chaleur. Bon, probablement un peu à cause de l’énergie utilisée pour le fonctionnement du compresseur. Un frigo au propane, par exemple, émettra de la chaleur générée par la combustion du propane nécessaire pour faire fonctionner le compresseur. Mais au final, cette chaleur demeure marginale – tout comme les frigos au propane.

Les climatiseurs et les thermopompes (y incluant la géothermie) fonctionnent sur le même principe. Pour les fins de notre propos, retenons donc que ces appareils ne font que déplacer de la chaleur.

Il est où le problème alors?

En fait, il y a deux problèmes principaux. Vous vous souvenez sans doute des reportages il y a quelques semaines concernant le recyclage des vieux réfrigérateurs.1 De quoi était-il question alors? De la récupération des halocarbures ou réfrigérants qu’ils contiennent. Pourquoi? Parce que ces réfrigérants sont extrêmement dommageables pour l’environnement.

Voilà un problème très sérieux lié à la climatisation. Certains jovialistes de l’industrie diront qu’il ne faut pas s’inquiéter outre mesure, car les réfrigérants contenus dans les appareils sont récupérés quand ces derniers sont mis au rancart. Des fois oui, mais la plupart du temps, non. Bien sûr il existe des technologies pour récupérer et détruire des réfrigérants.2 Mais c’est sans compter les fuites de réfrigérants qui peuvent survenir sur la durée de vie de l’équipement. En ce moment, on peut plutôt penser que la très grande majorité des réfrigérants produit par l’industrie dans le monde va un jour ou l’autre se retrouver dans l’atmosphère. Ça, c’est drôlement inquiétant.

Il y a ensuite la production de l’électricité nécessaire au fonctionnement des appareils. Un deuxième enjeu environnemental certain. À l’échelle planétaire, c’est un problème plus ou moins sérieux selon la source d’énergie utilisée pour produire l’électricité. Au Québec, ce l’est moins à cause de nos ressources hydroélectriques. Mais globalement, c’est potentiellement catastrophique.

Le big bang de la climatisation

Évidemment, en matière de changement climatique, ce n’est pas le Québec qui fera la différence. Notre impact climatique dans un sens comme dans l’autre demeure marginal. J’appuie cette affirmation sur une étude récente de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans The Future of Cooling,3 l’AIE affirme que la demande globale pour les climatiseurs va tripler d’ici 2050.

Selon l’AIE, le nombre de climatiseurs dans les bâtiments va passer de 1,6 milliard aujourd’hui à 5,6 milliards en 2050.

Une telle demande pour la climatisation aura un impact conséquent pour la demande d’électricité. Toujours selon l’AIE, cette demande additionnelle d’électricité équivaut à la capacité de production actuelle d’électricité des États-Unis, de la Communauté Européenne et du Japon réunis. C’est énorme. Je peux déjà affirmer que les panneaux solaires ne vont pas suffire à la tâche. Pas plus que les éoliennes d’ailleurs.

Impact climatique

Revenons à la question des réfrigérants. Calculé sur une période de 100 ans, le réfrigérant R410A, le plus commun dans les climatiseurs et les thermopompes à usage domestique, a un potentiel de réchauffement global (PRG) de 2088.4 En comparaison, le CO2,qui sert à calculer cet indice a un PRG de 1. Le R410A est donc potentiellement 2088 fois plus dommageable pour l’environnement que le CO2. Bref, une livre de R410A équivaut à une tonne de CO2.

En moyenne, un climatiseur ou une thermopompe nécessitera de 6 à 15 livres de réfrigérants, soit l’équivalent de 6 à 15 tonnes de CO2. Pour ceux et celles qui aiment les comparaisons, c’est l’équivalent des émissions annuelles de CO2 de 3 à 7 voitures.

Pensez alors aux prévisions de l’AIE. Le stock de climatiseurs atteindra 5,6 milliards d’unités en 2050. Avec une durée de vie moyenne de 12-15 ans, calculez combien de ces climatiseurs vont être fabriqués et ensuite mis au rancart. Calculez la quantité phénoménale de réfrigérants qui sera nécessaire pour faire fonctionner ces appareils. Imaginez toute la manipulation de ces réfrigérants de leur production à leur récupération potentielle (!) et à toutes les fuites qu’il y aura dans l’atmosphère. Et pensez à toutes les émissions associées à la production d’électricité pour faire fonctionner ces appareils.

J’ose à peine penser aux conséquences sur le réchauffement climatique.

On climatise parce qu’on a chaud. Et on aura de plus en plus chaud parce qu’on climatise. C’est comme ça.

Notes

  1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1173728/recyclage-dappareils-refrigeres-la-rmr-interpelle-quebec
  2. https://puresphera.com/services/service-aux-citoyens/
  3. https://www.iea.org/topics/energyefficiency/buildings/cooling/
  4. https://ww2.arb.ca.gov/resources/documents/high-gwp-refrigerants

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